Le temps dans l’Antiquité
Organisé par A. Vasselin et M. Mazzei
« Qu’est-ce que le temps ? » Voilà une question simplement énoncée par Augustin d’Hippone mais qui dans sa réponse, ne peut se satisfaire d’une simple démonstration. Le temps, remarque le philosophe, est une intuition spontanée, « connue » et « familière » de tous, qu’il est cependant malaisé de définir. Loin d’être un concept universel et atemporel comme l’entend Kant, le temps est un construit historique et culturel. Une telle affirmation place de facto l’historien au cœur d’un véritable paradoxe. En effet, le temps, lui-même objet historique, ne constitue-t-il pas la matrice de son champ disciplinaire ? Pour outrepasser cette dichotomie entre temps de l’histoire et temps historique, il devient alors nécessaire d’établir des conventions qui témoignent, par ailleurs, des sociétés dans lesquelles elles sont produites. S’intéresser au temps dans l’Antiquité demande à s’interroger sur la manière dont les Anciens le percevaient, le mesuraient, l’imaginaient, l’organisaient et l’utilisaient. Un tel questionnement s’inscrit dans différents domaines de l’Histoire.
Le domaine le plus évident est sans nul doute celui de l’histoire des techniques : comment le temps était-il quantifié dans l’Antiquité ? Une telle approche renvoie ainsi à l’observation des phénomènes astrologiques et climatiques, à l’établissement du calendrier selon les cycles lunisolaires… Elle fait également écho aux moyens qui rendaient possible cette mesure – clepsydre, sablier, cadran solaire. La mesure du temps donnait sens aux sociétés : sur le temps long, elle scandait la vie agricole, religieuse et sociale des civilisations antiques ; sur le temps court, elle limitait la durée de certaines actions (cela pouvait être la durée d’un plaidoyer en Grèce ou la durée des gardes dans la légion romaine). Cruciale pour l’organisation des sociétés antiques, la mesure du temps distinguait temps sacré et temps profane. Ainsi à Rome, la division du temps opposait les jours fastes ouverts à l’action humaine (notamment la vie politique) et les jours néfastes réservés aux dieux. La religion donnait également corps aux temps « primitifs » où le merveilleux des mythes prenait le pas sur la réalité historique : les récits de fondation des cités en donnent une illustration parfaite. A une époque où vie politique et vie religieuse étaient étroitement liées, il n’est par conséquent pas étonnant de remarquer la consubstantialité du religieux et du politique en matière d’agencement du temps : l’archonte éponyme, qui assumait des charges religieuses (l’organisation des fêtes notamment) et des charges judiciaires à Athènes, donnait son nom à l’année pendant laquelle il exerçait sa charge.
Le rapport au temps dans l’Antiquité ne se limitait pas à la seule organisation structurelle des sociétés. De manière arbitraire, certains événements étaient mis en avant par l’instauration de « lieux de mémoire » (P. Nora). Ces « lieux de mémoire » pouvaient être « monumentaux », comme les tumuli, ou « symboliques », comme la commémoration de la naissance d’Auguste. Dès lors, le temps devient subjectif : il n’est donc plus le même selon le groupe social étudié. L’identité de ce dernier peut même se définir par le rapport qu’il entretient avec le temps : la mise en place d’une généalogie – réelle ou fictive – en est un des aspects. A Athènes, les tribus portaient le nom d’un héros mythique (par exemple, celui d’Erechtée pour les Erechtéides) tandis qu’à Rome, la tradition faisait descendre les gentes d’ancêtres mythiques (ainsi la gens Iulia, issue de Iule, fils d’Enée et de Créuse).
In fine, ces différents axes de lecture nous permettent de nous interroger sur le lien entre l’appréhension du temps dans l’Antiquité et l’écriture de l’Histoire. Après tout, n’est-ce pas à Hérodote, auteur du Ve siècle av. J.-C., qu’est attribuée la paternité de l’Histoire ?