Journée doctorale d’ANHIMA 2018, Corps et pouvoir dans les mondes anciens

Appel à communications

Journée doctorale d’ANHIMA 2018

« Corps et pouvoir dans les mondes anciens »

 

Le corps, issu du latin corpus, constitue la partie matérielle et tangible des êtres animés. Il peut aussi, par synecdoque, désigner la personne tout entière. Le pouvoir, terme également issu du latin, renvoie à la capacité d’agir, mais surtout à celle de gouverner, contraindre, discipliner. Les Grecs et les Romains disposaient d’un vocabulaire étendu et nuancé renvoyant à cette notion : archè, dynamis, energeia, potestas, imperium.

Depuis les écrits fondateurs de Marcel Mauss[1], l’étude anthropologique du corps et de ses techniques a suscité l’intérêt des historiens. L’ouvrage d’Ernst Kantorowicz paru en 1957 aux Etats-Unis, Les deux corps du roi, a éclairé la relation entre représentation corporelle et symboles du pouvoir au Moyen Âge. C’est par la suite à Michel Foucault que l’on doit d’avoir articulé systématiquement les notions de corps et de pouvoir, décrit comme l’expression d’une domination. Surveiller et punir montrait l’évolution de l’emprise du pouvoir judiciaire par le biais des châtiments, depuis les supplices spectaculaires d’Ancien Régime jusqu’à la discipline carcérale, au fur et à mesure que la punition ne s’envisage plus comme l’imposition d’une souffrance physique mais comme la privation des droits et de la liberté[2]. A la suite de Foucault lui-même[3], ce questionnement a été transposé à l’Antiquité, par exemple par Stéphane Benoist[4] et Jan Meister[5], dont les articles portaient sur le corps du prince et les symboles du pouvoir à Rome, ainsi que par Vincent Azoulay[6] dans son étude sur le lien entre la notion de charis et le politique. Le thème du sermo corporis a été par ailleurs relancé dans le débat contemporain selon une approche anthropologique du pouvoir.

La relation entre corps et souveraineté s’est imposée dans les historiographies anciennes et contemporaines, le corps du roi / tyran n’étant pas un corps comme tous les autres, mais investi d’une double nature, physique et symbolique, métaphore du pouvoir. Par exemple, le comédien Cratinos nous apprend que l’homme politique était à Athènes le candidat principal à la caricature : c’est ainsi que Périclès devient pour le public athénien un Zeus humain « à tête d’oignon, (…) portant l’Odéon sur sa tête puisqu’il échappe à l’ostracisme »[7]. Néanmoins, les récits mettant en scène Agamemnon, Atrée ou Œdipe permettent de relativiser cette association et nous révèlent au contraire le destin maudit, ainsi que l’aspect malade voire monstrueux du roi / tyran, dont le corps se fait portentum, véhicule de significations tragiques du pouvoir[8]. Le corps de Claude est présenté par Suétone comme monstrueux, comme si la nature ne l’avait pas terminé (nec absolutum), mais seulement ébauché (incohatum)[9]. Il en va de même pour les héros grecs, au corps souvent difforme et soumis à mutilation, meurtri, transpercé, morcelé, découpé, riche en signes renvoyant à la sphère de l’excès de dynamis et de l’anéantissement physique[10]. Signe, reflet et éloquent en même temps[11], le corps a été interprété comme signifiant dans les rapports de pouvoir, entre hommes, entre hommes et femmes et plus rarement entre femmes. L’histoire des femmes et l’outil du genre ont servi à exprimer ces rapports de domination, en mettant l’accent sur le caractère sexué et genré des corps[12].

Le corps a également permis de détecter les effets du pouvoir au sens large dans la définition des rapports de domination et de soumission entre les différents groupes sociaux et religieux, ou encore en histoire sociale de la médecine entre le médecin et son patient[13].

Ainsi, dans le cadre de la prochaine journée doctorale d’ANHIMA, nous proposons de renouveler le débat autour de l’axe corps-pouvoir dans une perspective collective, afin d’approcher les liens qui dans les mondes anciens unissaient les régimes corporels et le pouvoir. Les marqueurs corporels du pouvoir (tels que la stature, la carnation, la nature des traits, la force), tout comme les signes produits par l’impact du pouvoir sur le corps, pourront faire l’objet d’enquêtes. Les théories sémiotiques du pouvoir, les régimes spectaculaires et les pratiques culturelles fondées sur la mise en scène du corps pourront être de même mobilisés, abordés en croisant les modes d’approches, dans une perspective comparatiste et/ou interdisciplinaire. Les registres métaphoriques concernant, dans les discours, les images et les pratiques, le « pouvoir qui se fait corps » et le « corps qui se fait pouvoir » pourront être également susceptible d’analyses.

Nous proposons en particulier d’explorer l’axe en question selon des perspectives sensibles à la technique, au geste, au rituel, au juridique, au politique, au mythe, ainsi qu’aux représentations figurées et écrites. Le débat pourra porter (a) sur les manifestations du lien corps-pouvoir, (b) sur les acteurs qui y sont impliqués, (c) sur les discours qui articulent les deux notions, (d) sur la perception du couple « corps-pouvoir » et son héritage de l’Antiquité à nos jours. Les communications pourront s’inspirer des questions suivantes :

  • Peut-on identifier des « figurations corporelles » du pouvoir ?
  • Quels étaient les « corps puissants » et quel était leur rôle dans les sociétés anciennes, dans les pratiques et les récits ?
  • Comment les corps étaient-ils assujettis et à quels pouvoirs ?
  • Comment le pouvoir se manifeste-t-il sur les corps nus, vêtus et/ou masqués pour se conformer à un programme politique donné ?
  • Le paysage urbain antique peut-il, par sa topographie, exprimer les interactions entre pouvoir et corps par rapport aux individus qui l’habitent[14]? De même, y-avait-il des lieux particuliers censés accentuer une prise de possession visuelle, auditive, tactile ?
  • Y-avait-il des forces ou des facteurs émotionnels particuliers (comme l’eros sur le corps du tyran Denys) qui intervenaient dans des cadres de création et/ou d’affirmation du pouvoir ?
  • Les régimes politiques pouvaient-ils parfois interdire certaines utilisations du corps dans ses formes naturelles et artificielles[15]?
  • Comment le lien entre corps et pouvoir des dieux a permis de penser et façonner celui des humains ?
  • Quelle place faudrait-il attribuer au pouvoir des femmes au regard du pouvoir des hommes quand il est question du corps et de sa maîtrise ?
  • Quelle polarité imaginer, s’il en existait une, entre pouvoir du corps (sōma) et pouvoir de l’âme (psychè) ?

Les propositions de communication en français (titre et résumé de 200 à 300 mots) sont attendues pour le mercredi 28 février 2018. La journée doctorale aura lieu le samedi 19 mai 2018 en salle Walter Benjamin à l’INHA (2 rue Vivienne, 75002 Paris) et nous souhaiterions, comme pour les éditions précédentes, que les actes en soient publiés. Les éventuels frais de transport et d’hébergement seront à la charge de chacun.

Contacts: helene.castelli[at]univ-paris1.fr, eleonora.colangelo[at]univ-paris-diderot.fr

[1] Mauss 1936.

[2] Foucault 1975, p. 9-18.

[3] Foucault [1984] 1997.

[4] Benoist 2012.

[5] Meister 2012.

[6] Azoulay 2004.

[7] Cratinos, fr. 73 KA.

[8] Cf. la manus infesta de Thyeste (Sénèque, Thye. v. 533) et le caput infandum d’Œdipe (Sénèque, Oed. v. 871).

[9] Suet. Claude 3, 23.

[10] Voir notamment Brelich (1956), p. 244 et suiv.

[11] Garelli – Visa-Ondarçuhu 2010, p. 9.

[12] Scott [1986] 2012, 41; Boehringer – Sebillotte-Cuchet 2015.

[13] Léonard 1981.

[14] Comme dans Eschine, Sur l’ambassade, 225-314.

[15] Comme dans le cas d’interdiction des masques de la comédie ancienne par les Macédoniens d’après Platonios, Diff. Com. 13.

 

Bibliographie sélective :

Azoulay, V. (2004) : Xénophon et les grâces du pouvoir. De la charis au charisme, Paris.

Benoist, S. (2012) : « Le prince nu. Discours en images, discours en mots. Représentation, célébration, dénonciation », dans F. Gherchanoc, V. Huet, 2012, 261-277.

Bodiou, L., D. Frère et V. Mehl, dir. (2006) : L’expression du corps. Gestes, attitudes, regards dans l’iconographie antique, Cahiers d’histoire du corps antique 2, Rennes.

Bodiou, L., V. Mehl et M. Soria, éds. (2011) : Corps saccagés, corps outragés. Regards croisés de l’Antiquité au Moyen Âge, Turnhout.

Boehringer, S. et V. Sebillotte Cuchet (2015) : « Corps, sexualité et genre dans les mondes grec et romain », dans F. Gherchanoc, 2015, 83-108.

Brelich, A. (1956) : Gli  eroi greci, Roma.

Bruit Zaidmann, L., G. Houbre, C. Klapish-Zuber et P. Schmitt-Pantel, éds. (2001) : Le corps des jeunes filles de l’Antiquité à nos jours, Paris.

Büttner, S. (2006) : Antike Asthetik. Eine Einführung in ie Prinzipien des Schönen, Munich.

Cairns, D. éd. (2005) : Body Language in the Greek and Roman Worlds, Swansea.

Cleland, L., M. Harlow et L. Llewellyn-Jones, éds. (2005) : The Clothed Body in Ancient World, Oxford.

Corbin, A., J. J. Courtine et G. Vigarello, éds. (2005-6) : Histoire du corps, Paris.

Dasen, V. et J. Wilgau, éds. (2008) : Langages et métaphores du corps dans le monde antique, Cahiers d’histoire du corps antique 3, Rennes.

Dean-Jones, L. (1996) : Women’s Bodies in Classical Greek Science, Oxford.

Fögen, T. et M. M. Lee, éds. (2009) : Bodies and Boundaries in Graeco-Roman Antiquity, Berlin-New York.

Foucault, M. (1975) : Surveiller et punir, Paris.

Foucault M., ([1984] 1997) : Histoire de la sexualité, Tome 3. Le souci de soi, Paris.

Garelli, M.-H. et V. Visa-Ondarçuhu, éds. (2010) : Corps en jeu de l’Antiquité à nos jours, Cahiers d’histoire du corps antique 4, Rennes.

Garrison, D.H., éd. ([2010] 2014) : A Cultural History of the Human Body in Antiquity, Londres – New Delhi – New York – Sidney.

Gherchanoc, F., éd. (2015) : L’histoire du corps : bilan historiographique, « DHA », 41.1, Supplément 14.

Gherchanoc, F. et V. Huet, éds. (2012) : Vêtements antiques. S’habiller, se déshabiller dans les mondes anciens, Arles.

Karila-Cohen, K. et F. Quillier, éds. (2012) : Le corps gourmand d’Héraclès à Alexandre le Bienheureux, Rennes -Tours.

Léonard, J. (1981) : La médecine entre les savoirs et les pouvoirs. Histoire intellectuelle et politique de la médecine française au XIXe siècle, Paris.

Malamoud, C. et Vernant J.-P., dir., (1986) : Corps des dieux. Le temps de la réflexion, VII, Paris.

Mauss, M. (1936) : « Les techniques du corps », Journal de psychologie XXXII, 3-4, Paris.

Meister, J. (2012) : Der Körper des Princeps. Zur Problematik eines monarchischen Körpers ohne Monarchie, Stuttgart.

Monserrat, D., éd. (1998) : Changing Bodies, Changing Meanings. Studies on the Human Body in Antiquity, Londres.

Moreau, P., éd. (2002) : Corps romains, Grenoble.

Osborne, R. (2011) : The History Written of the Classical Body, Cambridge.

Porter, J. I., éd. [1999] (2002) : Constructions of the Classical Body, Ann Arbor.

Prost, F et J. Wilgaux, éds. (2006) : Penser et représenter le corps dans l’Antiquité, Cahiers d’histoire du corps antique I, Rennes.

Schmitt-Pantel, P. et F. de Polignac, éds. (2007) : Athènes et le politique. Dans le sillage de Claude Mossé, Paris.

Scott J. W. ([1986] 2012) : De l’utilité du genre, traduit par Claude Servan-Schreiber, Paris.

Squire, M. (2011) : The Art of the Body. Antiquity and its Legacy, Londres-New York.

Stähli, A. (2009) : « Krüppel von Natur aus. Der Körper als Instrument sozialer Rollendefinition im Medium des Bildes », in C.M. Mann et al., éds. (2009): Rollenbilder in der athenischen Demokratie. Medien, Gruppen, Räume im politischen und sozialen System, Wiesbaden.

Stewart, A. (1997) : Art, Desire and the Body in Ancient Greece, Cambridge.

Thommen, L. (2007) : Antike Körpergeschichte, Zurich.

Vigarello, G (1985) : Le propre et le sale. L’hygiène du corps depuis le Moyen Âge, Paris.

Appel Journée doctorale ANHIMA 2018